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LETTRE INFINIE: UN DISQUE COUSU D’OR

Après son décryptage sensible et profond de l’univers visuel de « Lettre Infinie », puis une écoute approfondie du disque au Labo M sur l’invitation de Matthieu Chedid, Meremptah nous livre son ressenti éclairé du 6e album de -M-…
Article initialement publié sur www.2yeuxet1plume.com, le 17 janvier 2019


Dans un précédent billet de blog, je vous proposais une analyse poussée du visuel de Lettre Infinie, le 6ème album studio de Matthieu Chedid (-M-). Ce dernier me répondait par ces mots touchants :

« Je suis ému, très ému, par tant de justesses, de finesses et d’Amour […]. Tu vois même des choses que je n’avais pas perçu […]. Hâte de te faire écouter le disque tout entier […] ».

Quelques semaines plus tard, entre Noël et jour de l’an, je le retrouvais, au Labo M, où il me faisait découvrir, dans son creuset créatif à l’acoustique irréelle, ce nouvel opus. Et je me retrouvais rapidement démuni, ce que nos discussions confirmaient ensuite. Qu’en dire ? J’avais la sensation troublante d’avoir épuisé à son sujet tous les ressentis, toutes les impressions, tant sa pochette en disait déjà long. Ce nouveau – et non moins long – billet n’est donc pas une review au sens classique du terme : tout juste un complément au précédent article qui, enrichi des sensations auditives, en valide l’analyse pour l’essentiel.

Les lignes qui suivent ne déflorent en rien la découverte de cet album : je sais l’importance de se laisser surprendre pour apprécier pleinement une oeuvre, et ne vous propose rien d’autre qu’une empreinte sensible, qu’une clef auxiliaire pour en savourer l’essence et le suc. Je resterai à la surface, vous laissant vous glisser sous l’écume : seule l’exploration tranquille et profonde vous permettra d’accéder aux trésors que cet opus renferme.

De l’or dans l’écrin

A chaque album de Matthieu Chedid, une couleur, comme une clef de lecture évidente, qui marque de son empreinte l’écoute et affecte les impressions : « bleu délavé » pour Le Baptême, « rose bonbon » pour Qui de nous deux, « noir et blanc » pour Mister Mystère, « bleu électrique » pour Îl … et « l’or » pour Lettre Infinie, cet or enfoui sous contraste et qui pourtant frappe la rétine, invite à la contemplation, à l’écoute attentive.

L’objet même, dans sa version deluxe, comme une enveloppe abandonnée par l’artisan sur l’établi – fenêtre ouverte sur son intime -, est un écrin subtil, un coffret dont la manipulation première garantit l’expérience, permettant aux sens de se nourrir progressivement : d’abord la vue puis le toucher préparent l’ouïe à saisir l’oeuvre dans toutes ses nuances, l’imprègnent et l’augmentent.

Détail de la pochette de Lettre Infinie (album de Matthieu Chedid – 2019)

Si ce constat ne m’avait pas frappé pour Lamomali ou Îl, ni même pour Je dis aime ou Le Baptême – les visuels disponibles ça et là suffisant à s’y immerger pleinement -, il n’en est pas de même pour Lettre infinie : l’explorer par la seule dimension auditive serait comme le survoler à trop haute altitude, se priver d’en caresser les reliefs, d’en arpenter les contours. L’écoute solitaire, comme pour La B.O.² M, est, pour des raisons semblables, fortement conseillée : prenez le temps de l’exploration ; de toucher, de voir et d’entendre.

Coupez-vous de toute influence extérieure.

Déconnectez, jouez le jeu de la fixation.

Soignez l’écoute, poussez le volume de votre appareil hi-fi à haut niveau ou, mieux encore, revêtez votre plus beau casque.

Manipulez l’objet.

Appuyez sur play.

Là débute le voyage en son intime …

et dans le vôtre.

Sur le tournage du teaser de Lettre Infinie, Meremptah voit l’intime prendre forme

De grandes chansons … qui touchent au coeur.

Ce 6ème album est un coup de force, inclassable comme toujours avec Matthieu Chedid.
Il tourne avec brio la page Îl, légère déception personnelle, disque plus éclaté, ce que j’écris avec d’autant plus de liberté que je ne lui ai jamais caché ce ressenti.

Tandis qu’Îl péchait parfois par de trop puissants contrastes, du fait de certains titres moins marquants contribuant à un ensemble éparpillé, malgré des morceaux magistraux (« Elle », « Océan », etc.), Lettre infinie apparaît comme une réaction assumée et brille par sa cohérence. Moins rock, plus travaillé, moins expérimental, plus spontané, ce nouvel album s’impose par la puissance des vérités qu’il abrite, authentiques et intimes, semées sur partitions : de cette justesse naissent de grandes chansons.

Alors que nous échangions sur nos titres favoris de l’album, un membre du Labo M m’a fait remarquer mon goût pour les titres introspectifs. Au rayon des coups de coeur infinis : « L.O.I.C.A », « Une seule corde », « Billie » et « L’Autre Paradis ». Des chansons dépouillées, où l’âme se met à nu, où l’être émerge sous le masque, sous la plume, où les mots, simples et sensibles, atteignent leurs cibles, sans artifices, sans inutiles détours, portées par d’élégantes mélodies serties d’arrangements lumineux.

Que d’autres grandes chansons les accompagnent ! « Adieu mon amour », plus habillée, plus produite, est une folie superbe, de ces perles addictives et dansantes qui rappellent les fulgurances passées, une sorte de « Machistador (extended) » en plein « Psycho bug » : croisement superbe. La seule instru seule est un délice!

Le titre d’ouverture – éponyme – du disque est peut-être l’un des moins évidents. Second single de l’album, surprenant à la découverte, inventif et poétique, il ne s’en impose pas moins dès les écoutes suivantes comme un joyau indélébile, une préface essentielle à la compréhension d’ensemble. On ne lasse plus de le ré-entendre, tant sa production stratifiée renferme de richesses accessibles à l’oreille attentive et patiente. « Lettre infinie » est un des titres majeurs de l’album…un titre majeur en soit, superbement arrangé.

J’ai par ailleurs une grande affection pour « Grand petit con », chanson ludique et engagée. Parce qu’elle est – sur moi du moins – la plus « efficace » de l’opus, même si j’exècre ce terme qui lui convient si mal : sa mélodie, entêtante, rapidement mémorisée, n’est en rien usante, par force d’originalité. Parce qu’elle contient en elle, aussi, la clef de d’entendement de la carrière de Matthieu Chedid, enfant dont les jouets sont simplement plus rutilants qu’au temps des premiers tourne-disques et qui ne renie rien de sa part d’innocence, cherchant continuellement à s’y reconnecter. Parce qu’elle renferme, enfin, un message très personnel, comme un éclat de vie qu’il n’appartient qu’à lui seul d’éclairer davantage.

Les autres chansons engagées du disque, au premier rang desquels « Logique est ton écho » (évidente épanadiplose), sous couvert d’une légèreté que certains jugeront – trop rapidement – mal venue, tant l’urgence climatique apparaît flagrante au plus grand nombre, m’apparaissent comme des danses macabres contemporaines. « Logique est ton écho » nous replonge ainsi au début de la fête dans La règle du jeu : comme en son temps Jean Renoir, -M- donne à voir, sous les lumières tourbillonnantes et l’insouciance coupable de nos générations – dont les riffs dansants sont autant de métaphores – le voile qui se déchire, et l’abîme à venir.

« Si près si », « Massaï et « Thérapie » sont autant d’autres perles, des pièces hypnotiques du fait même qu’ils trouvent en nous-mêmes un écho rapide. En s’y livrant, Matthieu Chedid nous invite à lâcher prise à ses côtés, et le charme opère, au sens strict du terme. On s’y sent comme en un lieu familier, un cocon douillet où l’âme, fascinée, s’allège et se dépouille : « Si près si », particulièrement, fait figure de titre initiatique, de passage indicible. Une de ces chansons qui impriment.

« Superchérie » et « l’Alchimiste », enfin, me parlent moins. Plus funk ou plus rock, c’est selon, elles retendent le costume, dépoussièrent la coiffe, ravivant l’éclat du personnage, éclipsant ses nuances. Moins surprenantes, plus « calibrées » que d’autres, elles sont cependant des respirations bienvenues et ne dépareillent pas de l’ensemble, comme « La maison de Saraï » pouvait le faire sur Îl, ou « Est-ce que c’est ça » – incontestable bijou – sur Mister mystère. Elles ne sont pas non plus sans malice, « Superchérie » dénudant le projet dans son texte même : « supercherie! » pour qui croira y avoir décelé un aperçu fidèle de Lettre infinie, tandis qu’elle y est une authentique singularité.

On compte enfin, glissés ça et là, d’innombrables easter egg, ces discrets clins d’oeil aux oeuvres passées – que vous pourrez vous amusez à lister en commentaire du présent billet.

J’en dévoilerais deux premiers, comme une amorce à ce jeu de piste subtilement saupoudré tout au long de l’album, qui se veut aussi le miroir d’une carrière déjà deux fois décennale :

– Assez évident ; dans le texte de « Billie » résonnent ces mots : « Ce secret, je te le donne », comme un écho à la B.O. du film Ne le dis à personne. Et, bien sûr, comme nous le fait remarquer Mike en commentaire, le « j’adore » lâché dans « Superchérie » n’est pas sans rappeler « Machistador »…

– Plus indicible ; à 2’15, dans « l’Alchimiste », surgit furtivement un riff de guitare familier : celui – ici précipité – qui émaillait en son temps le jingle de la première « Radio M » (pépite que je vous glisse ci-dessous : n’hésitez pas à y revenir lorsque vous aurez déguster l’intégralité du disque, pour goûter cette résonance).

Et vous ? Quels réminiscences avez-vous décelées ?

Lettre infinie : la philosophie d’un disque essentiel

Qu’est-ce donc que Lettre infinie ? Un album intime.

Chacun de ses morceaux-missives est comme un tiroir intérieur où se donne à voir, sous le drapé flamboyant du personnage, par-delà les nappes électriques et dansantes, l’Être, le fils, l’homme et le père.

S’y amalgament en un tout cohérent des énergies éparpillées, puisées dans l’instant sans s’affranchir des aventures passées, ressuscitées par touches.

Les collaborateurs, multiples et discrets, font ce pont suspendu où se fondent les -M- antérieurs en un alter-ego nouveau, cousu à même la peau. Sous le voile, les atours funk, la production cristalline, les guitares trouvent une plus juste place, re-connectent au Baptême. Dans l’interstice ainsi offerte se lie l’âme, abreuvée à la source.

Lettre infinie est un disque à facettes : -M- y décline ses amours et ses humeurs en 13 reflets comme autant d’états, de lunaisons. Les mots mêmes y naviguent, expressions du coeur, entre légèreté et profondeur.
 

C’est là, entre les strates, que se niche l’essentiel.

 
 

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